- Mars 2016 -
Entre Coliseo et Jovallenos, la Finca Coincidencia (La Ferme de la Coïncidence) accueille les quelques touristes qui viennent se perdre dans cette nature généreuse. Hector, sa femme, ses 3 fils, leurs épouses et quelques collaborateurs s'activent toute la journée dans ce lieu enchanteur.
Loin de la folie touristique d'une Havane branchée sur radio Malecon ou des plages de sable fin de Varadero, bondées de touristes, nous entrons ici dans une ferme en décalage avec le modèle agricole intensif sévissant dans nos campagnes françaises et plus largement, dans le monde.
Ici, l'agriculture a évolué. Nous ne sommes pas dans la ferme du futur ventée par nos amis des grands groupes industriels et commerciaux où le robot a pris la place de l'Homme. Ici, l'Homme a toute sa place. Autrement dit, il n'est pas partout, tout le temps, tentant d'intervenir dans chaque cycle naturel afin de "croire" qu'avec son "aide" l'écosystème réagira en lui fournissant plus, toujours plus. Nous sommes plutôt en présence d'un environnement dans lequel l'Homme évolue au rythme imposé par la nature. Il récolte les fruits de sa riche production, pas sans aléas évidemment, mais avec des parades qui permettent de ne jamais être en manque. Comme un musicien, l'agriculteur vient sublimer la nature en respectant ses lois fondamentales.
Les différences ne s'arrêtent pas là. Hector a entrepris également de consommer moins d'énergie pour être toujours plus en accord avec les cycles naturels. Il a donc installé des systèmes d'énergie renouvelable. Un panneau solaire thermique pour l'eau chaude de la maison, une éolienne qui pompe l'eau de la nappe et une belle installation de méthanisation qui alimente la cuisinière grâce à 4 vaches. Les digestats solide et liquide sont ensuite épandus sur les cultures comme engrais.
Ce processus de méthanisation possède ici toutes ses vertus. Il ne s'agit pas, comme pour de plus en plus d'installations de méthanisation en Europe, de faire pousser du maïs dans le seul but de le méthaniser entièrement afin de produire plus de méthane pour produire de l'électricité ou de la chaleur. Au contraire, ce processus intervient en fin de procédé agricole pour recycler les intrants méthanisables déjà existants et non produire de toutes pièces les intrants.
En effet, le processus de méthanisation de certains agriculteurs industriels européens est, il faut
le dire, pseudo écologique car le soleil fait pousser le maïs qui est récolté après quelques cycles non vertueux d'épandages de diverses substances chimiques (que vous détesteriez boire en
rafraîchissements), puis intervient le moissonnage, le labour, le broyage, le convoyage, et enfin la méthanisation... et on recommence pour un tour ! Le processus n'intervient donc pas en fin de
cycle agricole, comme il serait logique et "éco-logique" de le concevoir, au contraire, il est crée de toute pièce, en dehors de toute production agricole alimentaire.
S'il est nécessaire de produire de l'électricité ou de la chaleur en plus grande quantité qu'une production agricole alimentaire ne peut en produire, alors pourquoi ne pas utiliser l'énergie solaire ? L'énergie solaire ne serait-elle pas moins coûteuse en temps, en espaces, en engrais, en pesticides, en insecticides, en fongicides, en diesel, en fuite de méthane...et au final en argent ?
En bref, pourquoi créer des super méthanisateurs ou super estomacs géants pour produire uniquement
chaleur et électricité sans production alimentaire en amont, alors que des centrales solaires sont bien plus efficientes dans la production de chaleur et d'électricité ? D'autant qu'on pourrait
déjà imaginer recouvrir les toits de bâtiments ou de parkings déjà existants de panneaux solaires, au lieu de couvrir des surfaces agricoles de capteurs solaires. Cela permettrait non
seulement d'être plus efficient dans la production d'énergie, mais aussi d'économiser les espaces agricoles qui resteraient destinés avant tout à l'alimentation. Qu'en pensez-vous
?
Par ailleurs, une autre activité a trouvé sa place au sein de la Ferme d'Hector et de sa famille : l'atelier de céramique. Oubliez ici les ateliers mécaniques car tout ou presque est réalisé par les concepteurs : Hector, ses trois fils et les quelques "Muchachos" qui les accompagnent. Préparation de la terre, humidification, filtrage, affinage, pièces de céramique fines de quelques centimètres à quelques mètres, tout ou presque est fait sur place. Même les machines spécifiques y ont été conçues.
On ne s'arrête pas là à la Ferme de la Coïncidence, le fonctionnement horizontal de l'atelier est une prouesse encore plus grande. En effet, à l'heure où l'on parle de self-management et d'empowerment, ici tout le monde peut choisir de faire son travail selon ses propres envies. Tout est à modérer bien sûr, chacun travaille en équipe pour l'équipe. Il y a des compromis, des adaptations mais, c'est ici que les choses deviennent intéressantes, car aucun chef ne vient imposer son modèle, selon ses idées propres et ses envies, conditionnées souvent par une volonté de gravir des échelons bien mal conçus.
Enfin, c'est en se promenant au travers des petits chemins et passages de cette Finca que l'on
arrive à saisir pleinement la volonté d'Hector et de sa famille de vivre en harmonie avec la nature et ainsi saisir pleinement l'intrication de l'Homme et de la Nature ou plus largement de
l'Homme dans l'Univers. Nombreuses citations de philosophes, scientifiques, écrivains ou poètes sont ainsi inscrites sur des céramiques ou petits écriteaux de bois. Nous ne citerons que l'une
d’entre-elles, extraite d'un poème célèbre de John Donne, pour illustrer et achever cet article en toute coïncidence.
« Nul homme n’est une île, un tout en soi; chaque homme est partie du continent, partie du large; si une parcelle de terre est emportée par les flots, pour l’Europe c’est une perte égale à celle d’un promontoire, autant qu’à celle d’un manoir de tes amis ou du tien. La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »
John Donne (poète anglais du XVIIème siècle)
Extrait de son œuvre : Devotions upon Emergent Occasions (1624)