« A la Finca El MilAgro, on se considère comme les gardiens d’un bout de planète… »

Cela fait un bon bout de temps que je ne vous ai pas donné de nouvelles… et pour cause, j’étais perchée pendant plusieurs semaines à 2000 mètres d’altitude dans une ferme agro-écologique sur les hauteurs de Roldanillo, ville située dans la Vallée del Cauca, entre Arménia et Cali.

 


C’est le hasard qui a fait que j’ai eu l’opportunité de réaliser ce volontariat dans une ferme de café où j’ai appris énormément : que ce soit sur la culture du café, sur le travail agricole qu’exige une ferme de ce type, sur les plantes médicinales ou encore sur moi-même car nombreux ont été les moments passés à méditer, autrement dit,  à être seulement avec soi-même et aller voir à l’intérieur ce qu’il s’y cache.

 

Et oui, le hasard a fait que début mai, alors que je cherchais un Warmshowers ou Duchascalientes qui puisse m’accueillir pour une nuit du côté de Pereira, ville située dans le département de Quindío, où les routes se fraient un chemin entre les collines verdoyantes entièrement recouvertes de café, une jeune-femme en scooter s’est arrêtée à mes côtés pour me demander si j’avais besoin d’aide. Je me suis dit : « Ah, ces Colombiens, quelle gentillesse, décidément ! » Il est vrai que depuis 5 mois, je n’ai jamais vu une telle chaleur humaine et une telle joie de vivre !

 

Et bien raté, c’était une française ! J’ai très vite relevé son accent français malgré son excellent espagnol.  « C’est rigolo, me dit-elle, je viens d’héberger pendant 3 semaines, une espagnole qui voyage seule aussi à vélo, mais elle remonte vers le Nord de la Colombie quant à elle. Viens à la maison, me dit-elle, la porte est grande ouverte et j’ai hâte que tu me racontes tes aventures. » C’est alors qu’en dégustant un excellent café avec elle tout en racontant mon périple, que j’ai lu sur le petit paquet de café : « El MilAgro, Finca de café agro-écologique ». Laura, qui est professeur de Français au lycée français de Pereira, m’a conseillé de m’y rendre car ce serait une superbe expérience. Et voilà comment j’ai connu la Finca El MilAgro ! Le hasard quoi… ou la magie du voyage…

 

J'ai ainsi été accueillie 3 jours chez Laura et Jérôme, son colocataire, et qui sont tous deux professeurs de Français au lycée français de Pereira. La curiosité m'a évidemment poussée à aller voir ce qu'était un lycée Français en Colombie ! Si vous avez envie de jeter un oeil aussi, j'ai écrit un autre petit article sur cette visite.

 

El MilAgro signifie « Le Miracle ». C’est Erasmo, le père de la famille, qui a souhaité baptiser cette ferme ainsi car tout simplement, cela relevait du miracle pour lui que de pouvoir enfin travailler sur ses propres terres. Erasmo et Nelsy sont un couple de paysans colombiens originaires de La Seca (traduisez : « La Sèche »), petit village de la Vallée del Cauca souffrant de la sécheresse. Ils ont toujours été paysans et ont toujours travaillé sur les terres d’autres propriétaires, n’ayant pas les moyens de s’acheter un bout de terre. Ils vivaient à La Seca très chichement dans une maison où ils ont élevé 4 enfants. 

 

 


L’acquisition de la Finca El MilAgro n’aurait pu se faire sans l’émigration de Martha, la fille aînée, en France, en région parisienne, pendant 8 ans.  Martha a travaillé d’arrache-pied afin de pouvoir envoyer de l’argent à ses parents dans l’espoir qu’un jour, ils puissent réaliser leur rêve : travailler leur propre terre. C’est ainsi qu’en 2003, les premières terres ont pu être achetées et ce fût un vrai miracle pour Erasmo, son père ! Pour lui, travailler sur ses propres terres était la promesse d’une vie avec beaucoup plus de qualité et de liberté. Erasmo va même jusqu’à dire qu’il considère avoir arrêté de travailler le jour où il est arrivé ici. Comme quoi, quand on se lève chaque matin pour travailler quelque chose qui nous passionne parce que l’on a la sensation d’être vraiment dans ce qui nous plaît, ce qui nous appelle, ce qui nous fait vibrer, la connotation négative du travail, telle que nous la connaissons tous quand nous disons : « Je dois aller travailler. », disparaît…


Il faut savoir que lorsqu’ils ont acquis les terres, celles-ci servaient depuis bien longtemps de pâturage pour les vaches. La Finca El MilAgro est donc partie d’une prairie sans une riche biodiversité, avec des sols pauvres et très érodés pour tendre aujourd’hui vers une oasis de verdure luxuriante apportant une biodiversité très riche en flore et en faune. Quand Nelsy et Erasmo habitaient à La Seca, ils avaient tout de même réussi à créer un micro-écosystème où la chaleur étouffante du village disparaissait. Ils y pratiquaient la permaculture sans même connaître ce terme. C’est ainsi que lors de l’acquisition des terres d’El MilAgro, c’est avec ce même amour, cette même énergie, qu’ils se sont acharnés à remplacer le pâturage par des arbres, des fleurs, des espèces natives, des plantes médicinales, etc. qui permettent aujourd’hui à ce lieu d’être doté d’une riche biodiversité.

 

Martha a pu revenir en Colombie il y a quelques années et travaille désormais au quotidien dans la ferme avec ses parents. Quand elle parle de la Finca, voici ce qu’elle livre « « A la Finca El MilAgro, nous ne sommes pas que des propriétaires terriens, mais aussi et surtout des gardiens d’un petit bout de planète. Nous ne sommes que de passage sur cette planète Terre. Finalement, nous empruntons cette terre. Nous la possédons, mais temporairement. Il nous revient donc d’en prendre soin, de la chérir, ne pas se considérer au-dessus d’elle comme pour vouloir la maîtriser, mais se considérer en faire partie, car nous sommes une espèce animale parmi tant d’autres. Quand on se considère faire partie de cette Nature, de la Pachamama comme on l’appelle ici, alors on la respecte, car la respecter c’est se respecter et la sublimer, c’est se sublimer. »

 

 



« Couleur café, que j’aime ta couleur café ! »

Je ne sais pas pour vous, mais avant de venir en Colombie, je ne savais pas à quoi ressemblait un caféier et je ne connaissais rien de la culture du café et de son procédé de fabrication. Alors, ma curiosité m’a poussée à en savoir plus sur cette petite graine qui nous ravit les papilles ! Pendant mon séjour dans cette finca de café, j’ai pu poser toutes les questions que je voulais ! 

  •  Un café ou des cafés ?

Tout d’abord, il faut rappeler qu’il n’existe pas un café mais des cafés. Avant tout, on les différencie soit en fonction de leur pays d’origine (ex : Vietnam, Brésil, Colombie, etc.), soit en fonction de leurs variétés (ex : Arabica, Blue Mountain, Bourbon Pointu, Java, etc.). Ensuite, un café se différencie d’un autre car il n’a pas poussé sur le même sol, bénéficié du même climat et il n’a pas été cultivé de manière identique (culture conventionnelle, raisonnée ou biologique). Chaque café est donc différent ! En fait, comme le vin, le café dépend d’une multitude de facteurs et d’actions qui vont lui apporter sa typicité et son authenticité


  •  Pourquoi il y a du café en Colombie ? 

Le café serait arrivé en Colombie à la fin 19ème et début du 20ème siècle, par les Espagnols qui l’auraient apporté d’Afrique, avec la variété dénommée « Arabica ». Diverses variétés ont été développées ensuite par croisements avec d’autres variétés afin d’améliorer notamment les rendements de production ou/et pour lutter contre des maladies telles que « la rouille du caféier » (champignon se déposant sur les feuilles du caféier et qui le dévitalise) et « la scolyte du café » (insecte ravageur qui mange le grain de café). 


La Colombie produit donc exclusivement du café Arabica car les autres variétés colombiennes existantes sont simplement les résultantes de croisements avec d’autres variétés. La Colombie produit 5 variétés principales de cafés Arabica : le café typique appelé « Arabica » ou « Pajarito » qui signifie « Petit oiseau » ou « National », le café Bourbon, le café Tabi, le Caturra et la variété dénommée « Colombia ». Il existe d’autres variétés complémentaires telles que : Supremo, Superior, Robusta, Castillo ou encore Geisha.

  •  Où est produit le café en Colombie ?

Les plantations de cafés sont situées sur les contreforts des Andes entre 800 et 2000 mètres, sur la partie occidentale et centrale de la cordillère. Les départements producteurs de café de Colombie sont Antioquia, Caldas, Cauca, Cundinamarca, HuilaNariño, Santander, Quindío, Risaralda et Tolima. La finca El MilAgro se situe à 1700 mètres d’altitude dans la Vallée del Cauca sur la cordillère centrale des Andes.


  •  La culture du café est-elle importante en Colombie ?

Depuis 2014, la Colombie est classée 3ème pays producteur de café au monde derrière le Brésil et le Vietnam, et la Colombie est le 2ème producteur mondial de café Arabica derrière le Brésil. 

  • Comment fait-on pousser un caféier ?

Tout d’abord, il faut planter la graine ! Cette graine de café est récupérée sur des caféiers donnant déjà des récoltes, puis elle est plantée dans un sable riche en minéraux naturels. En Colombie, les fermes de café sont situées à proximité de rivières ou de fleuves, ce qui fait que les graines de café sont plantées dans des alluvions naturellement riches en minéraux. A savoir que le moment le plus approprié pour semer des plants de café est en lune décroissante


Une fois la semence plantée, il faut attendre 3 mois pour voir apparaître les premières feuilles et c’est à ce moment-là que le plant de café est transplanté dans un petit sac proportionnel à sa taille dans une pépinière pour éviter une trop grande exposition au soleil, avant sa mise en terre définitive sur les contreforts de la cordillère des Andes (il mesure alors environ 30 cm). A savoir que sur 1 hectare de terrain, on peut planter 5000 plants car il faut respecter 1 mètre d’espace entre chaque plant et 2 mètres entre chaque rangée. 


Puis, on laisse le plant de café grandir environ 18 mois afin qu’il arrive à donner sa 1ère floraison et donc sa promesse de 1ère récolte. Il mesure à ce moment-là à peu près 1m50. Un caféier peut dépasser les 2 mètres, mais les cultivateurs coupent leurs cimes pour que la récolte, effectuée exclusivement à la main, soit plus facile.


Un caféier peut produire correctement pendant environ 30 ans si les conditions de culture sont intensives et en plein soleil. Cependant, si les plants de café sont en semi-ombre et en culture raisonnée ou biologique, ils durent entre 50 et 70 ans, voire 100 ans.


Quand le caféier ne produit plus, les troncs des plants sont utilisés pour faire fonctionner les fours à bois dont sont dotées quasiment toutes les fermes de café en Colombie, ce qui engendrent des problèmes pulmonaires importants aux cultivateurs de café qui cuisinent principalement au feux de bois. 


  • Quelles sont les étapes de la fabrication du café ?

A la Finca El MilAgro, j’ai pu découvrir tout le processus de fabrication du café de A à Z.

1ère étape : La récolte

 

La floraison des plants de café se développe du mois d’avril au mois de novembre en fonction de l’altitude à laquelle sont plantés les caféiers. De jolies fleurs blanches apparaissent alors sur les caféiers et embaument les vallées de leur doux parfum. Chaque fleur donne un grain de café. L’enveloppe du grain de café doit être rouge pour pouvoir être récoltée, les oranges et jaunes sont laissées sur l’arbre pour les laisser mûrir. Un plant de café peut produire jusqu’à une récolte de 2 kg de café.

 

Auparavant les floraisons et donc les récoltes se réalisaient uniquement en avril/mai et octobre/novembre, mais avec le réchauffement climatique, la récolte s’étend désormais d’avril à novembre en continue, voire décembre. La récolte se fait à la main, grain par grain…

 

 

Et je peux vous assurer que c’est un sacré boulot ! Non seulement il faut récolter grain par grain sur une multitude de rangées de caféiers, mais il faut aussi tâcher de ne pas tomber car les versants où sont semés les plants de café sont raides et quand il a plu, c’est une vraie lutte pour ne pas dévaler la pente !  


2ème étape : Le dépulpage 

Après la récolte, les « cerises de café » sont dépulpées afin de séparer la pulpe du grain de café -  grain de café qui se situe à l’intérieur de la pulpe. La récolte est alors versée dans une machine appelée « de-pulper » (séparateur) qui était à l’origine manuelle, mais qui est désormais dotée d’un moteur depuis plus d’un siècle.

 

Les grains de café passent ensuite dans une autre partie de la machine appelée « desmucilaginador » qui va retirer le miel du fruit (liquide jaunâtre qui entoure la graine de café et qui est un fort contaminant), ainsi que son mucilage (la gomme naturelle du fruit).

 

 

Dans la Finca El MilAgro, les pulpes de café sont utilisées pour alimenter le compost, mais dans les fermes à culture conventionnelle, les pulpes de café sont broyées avec des grains de café pour fabriquer le fameux café instantané que l’on trouve dans les supermarchés. 1,5 kg de pulpe de café et 500 grammes de grains de café de basse qualité sont mélangés pour fabriquer 1 kg de café instantané… Ainsi, « le café instantané n’est pas du café par définition mais le produit de déchets et de grains de café de basse qualité » me fait remarquer Don Erasmo, le papa de Martha. 


3ème étape : Le lavage

Tandis que les pulpes de café partent au compost (dans les fermes biologiques), les grains de café sont mis à tremper pendant environ 1 journée afin de les laver

 

 


4ème étape : Le séchage

Les grains de café lavés sont d’abord passés dans un tamis pour enlever les dernières pulpes qui seraient restées collées aux grains, puis les grains sont étalés à l’aide d’un râteau sur le toit de la Finca prévu à cet effet. Les grains vont alors commencer à changer de couleur. Ils passent de jaune à gris. Quand ils sont gris, cela veut dire qu’ils sont suffisamment secs pour passer à la prochaine étape.


5ème étape : Le pilonnage

Le pilonnage consiste à enlever la 2nde enveloppe (de couleur grise) du grain de café à l’aide d’un pilon. C’est un travail qui vous muscle les bras ! 


6ème étape : Vérification du pilonnage

Après le pilonnage, il s’agit de vérifier si aucune enveloppe ne reste sur le grain de café et ce travail s’effectue à la main et grain par grain ! Je l’ai effectué avec Nelsy, la maman de Martha, et c’est un travail qui demande une sacrée patience !


7ème étape : La torréfaction

Une fois que tous les grains de café ont été vérifiés un par un, ils sont versés dans une grande gamelle en métal qui est posée sur un feu de bois. On se passe alors une grande cuillère en bois pour remuer les grains de café dans la gamelle, mais à tour de rôle afin d’éviter de trop grandes expositions à la fumée du feu de bois toxique pour les voies respiratoires. La torréfaction consiste finalement à faire noircir les grains de café


8ème étape : Moudre les grains de café

Une fois les grains de café torréfiés, il s’agit de les moudre, mais cette étape n’est pas obligatoire, au contraire, car les arômes du café sont conservés bien plus longtemps dans le grain que dans le café moulu.

 

A ce propos, le café colombien, il est bon ?

 

Avant de venir en Colombie, le café n’était pas vraiment ma tasse de thé ! Mais depuis, j’apprécie grandement boire un petit « tinto » ou « cafecito » comme ils disent ici.

 

Pour préparer un petit « tinto », les Colombiens versent le café moulu dans un filtre appelé « la media de la abuela » qui signifie : « la chaussette de la grand-mère » et versent de l’eau bouillante dans cette chaussette. Mais ne vous y trompez pas, cela ne ressemble pas du tout à du jus de chaussette ! Au contraire, le café colombien est un café que l’on qualifie de suave, doux et parfumé. Cela est dû aux variétés colombiennes qui sont aromatiques, fruitées et possèdent une bonne densité en goût. Certains Colombiens sucrent ensuite leur café avec de « la panela » (sucre obtenu à partir de la canne à sucre) pour obtenir un goût satiné.


 

9ème étape : Emballage du café

 

Une fois le café torréfié ou moulu, de jolis paquets sont confectionnés pour la vente. La famille de Martha réalise un emballage artisanal très soigné confectionné à base d’écorces de bananiers. Voyez le rendu vous-même !

 


 

10ème étape : La vente du café

 

 

La majorité de la production de café de la Finca est vendue à la coopérative de café de Roldanillo (le village le plus proche). Chaque département a ses coopératives qui sont gérées au niveau national par la Fédération Nationale des producteurs de café de Colombie qui est une association crée en 1927 dont le but est de promouvoir le café colombien. La coopérative achète « una arroba » (correspondant à un sac de café de 12,5 kg) entre 18 000 et 90 000 pesos colombiens (soit entre 10 et 30 Euros), tout dépend des cours du café en bourse.

 

Outre les cours de la bourse qui n’assurent pas un prix fixe du café, l’autre inconvénient est que comme la finca n’a pas de certification BIO, donc elle ne peut pas vendre son café comme un café biologique. Par conséquent, le café biologique de la finca est mélangé avec les cafés issus des cultures conventionnelles (non biologiques), ce qui est dommage quand on voit le travail qui est effectué en amont pour fabriquer un café en respect de la Nature et dès la santé des Hommes.

 

Alors, la famille de Martha essaye de valoriser leur café biologique en vente directe aux volontaires, mais aussi aux locaux colombiens ou aux touristes colombiens ou touristes étrangers de passage par la Finca. Un paquet de café (500 grammes) est vendu 15000 pesos (5 euros). La vente est bien moindre que celle de la coopérative, mais cela leur permet de valoriser la qualité de leur café et la vente en circuit court, sans intermédiaire, assure une rémunération juste et indépendante des cours du café dont la coopérative dépend.

 


 

  • Le café bio est-il répandu en Colombie ?

 

 

Le modèle prédominant en Colombie est la culture intensive du café. Les plants de café poussent en pleine lumière, c'est-à-dire sans aucun arbre pour faire de l’ombre aux caféiers alors que ce sont des plantes qui poussent idéalement en semi-lumière, et les plants sont fertilisés aux engrais chimiques en proportion minimale de 40 %.

 

Néanmoins, certaines fermes, comme la Finca ElMilAgro ou certaines coopératives, comme le Fondo Paez, situées dans la Vallée del Cauca, ont pris conscience que ces cultures intensives non seulement ne produisent pas un café d’excellente qualité, mais n’ont rien de soutenables pour les années à venir car les sols se meurent petit à petit.

 

Pour Martha, un café bio, c’est quoi ? « C’est un café issu d’une récolte qui s’est obtenue sans utilisation de produits chimiques. Quand mes parents ont acquis les terres, ils ont pourtant commencé à cultiver le café de manière conventionnelle, c'est-à-dire avec tous les produits chimiques que l’on nous vendait comme indispensables. Or, on s’est assez vite rendu compte que d’une part, pour acheter ces produits phytosanitaires, il fallait y consacrer une bonne part du budget, mais aussi que les terres étaient de plus en plus sans vie, les sols étaient dénutris et la faune et la flore disparaissaient petit à petit, sans compter que nous, en tant que cultivateurs, on inhalait tous ces produits, et que le café gardait des traces non négligeables de l’utilisation de ces pesticides et engrais. Alors, on a dit stop ! Et on s’est converti au bio petit à petit. Ça nous a pris environ 5 ans pour quitter tous les produits chimiques. Les seuls engrais ou pesticides que nous utilisons sont exclusivement issus de recettes naturelles réalisées ici-même dans la finca. » m’explique Martha dans un Français quasi parfait.

 

C’est le moment de vous parler des vers de terre, des cochons d’Inde et des toilettes sèches de la Finca El MilAgro ! En effet, Martha et sa famille ont créé 3 recettes différentes afin de fabriquer leurs propres fertilisants naturels et ceux-ci s’avèrent très efficaces. 

 


1ère recette : Les lombris ou les vers de terre

 

Tous les résidus de pulpes de café, qui sont récupérés après le processus de séparation du grain et de la pulpe, sont versés dans des bacs et sont laissés au repos plusieurs semaines afin de laisser sécher cette matière organique qui va servir d’alimentation à des vers de terre. Mais pas n’importe quels vers de terre ! Ces vers de terre sont des lombris qui ont été donnés à la Finca par une fondation agro-écologique de la région. Les lombris vont se nourrir de cette matière organique (composée à la fois des résidus de pulpes de café, mais aussi des résidus alimentaires tels que des peaux de bananes, des peaux de mandarines, des épluchures de légumes, etc.) et vont transformer cette matière organique en deux fertilisants naturels très puissants (un fertilisant solide et un fertilisant liquide). 

 


 

2ème recette : les Cuys ou les cochons d’Inde

 

La famille de Martha élève des lapins et des cochons d’Inde (« Cuys » en espagnol), mais non pas pour les manger, comme le font les Equatoriens et les Colombiens du Sud (vers la ville de Pasto), mais pour récupérer leurs excréments ! En effet, leurs excréments sont ajoutés à l’engrais naturel obtenu avec les lombris et augmentent le potentiel du fertilisant.

 


 

3ème recette : les toilettes sèches

 

La Finca El MilAgro a mis en place des toilettes sèches non seulement pour économiser l’eau qui est une denrée précieuse car elle peut être rare, mais aussi pour utiliser les excréments humains comme fertilisants naturels. En effet, les excréments humains, après environ une année laissés aux repos pour permettre leur décomposition, sont ajoutés aux fertilisants obtenus avec les lombris.

 


Voici donc les 3 recettes de la Finca El MilAgro pour créer ses propres fertilisants naturels (un solide et un liquide), après mélange de la matière organique décomposée par les lombris, des excréments des Cuys et des excréments humains décomposés après une année.

 

  • Dans une Finca de café, on ne cultive que du café ?

 

Marthe me répond du tac au tac : « Bien sûr que non ! On cultive aussi des arbres fruitiers tels que des bananiers, des orangers, des mandariniers, des goyaviers, des avocatiers, des citronniers, des aloe vera, des arbustes de piments, des cacaoyers, etc. car tous ces arbres permettent non seulement de nourrir les sols, mais apportent aussi de l’ombre aux plants de café qui aiment s’épanouir en semi-lumière. On laisse aussi pousser naturellement plein de type de fleurs différentes. Ces arbres fruitiers et ces fleurs permettent ainsi le développement d’un écosystème riche avec de nombreux insectes et oiseaux différents qui viennent chacun jouer leur rôle dans cet écosystème. A côté de ces fleurs et arbres fruitiers, nous cultivons des haricots, des tomates, des oignons, du yuca (manioc), des pommes de terre, du maïs, des carottes, … et des plantes médicinales ! »

 


C'est Nelsy, la maman de Martha, qui est l'experte des plantes médicinales dans la Finca. "Je complète mes connaissances par des ouvrages de phytothérapie, mais l'essentiel de mon savoir, je le tiens de ma mère qui elle-même le tenait de sa propre mère." me raconte t'elle.

 

Nelsy aime transmettre aux volontaires ses connaissances des plantes médicinales. Elle explique non seulement les propriétés et les bienfaits de chaque plante, mais aussi comment préparer les solutions pour se soigner. 

 

Voici quelques-unes des plantes qui existent dans la Finca et certaines de leurs propriétés. 


 

  • Les producteurs de café ont-ils un bon niveau de vie ?

 

Dans l’ensemble, les producteurs de café arrivent à avoir un bon niveau de vie s’ils arrivent à administrer correctement leur affaire, mais il ne faut pas oublier que c’est un travail agricole difficile, que les producteurs sont dépendants du climat - qui se réchauffe de plus en plus - et des cours du café qui peuvent fluctuer beaucoup.

 

Si les producteurs de café peuvent vivre à peu près correctement de leur métier, les employés saisonniers, quant à eux, embauchés au moment des récoltes, sont plutôt payés « à coups de lance pierres » puisqu’ils sont payés entre 15 000 et 20 000 pesos par jour (soit entre 5 et 7 euros) proportionnellement au poids de la récolte qui varie entre 80 et 120 kg… et ils travaillent du lundi au samedi de 6h à 18h (du lever du soleil au coucher du soleil), avec deux pauses de 1h (une pour le petit déjeuner et une autre pour le déjeuner). Vous allez me dire, cela doit aller avec le coût de la vie colombienne ? Et bien non, avec ce salaire, ils ont à peine de quoi se loger, la nourriture étant fournie sur place par l’employeur (le producteur, propriétaire de la finca).

 

Par ailleurs, pour avoir récolté du café pendant plusieurs semaines, je peux vous dire qu’il faut travailler d’arrachepied (ou plutôt « d’arrache main ») pour pouvoir ramener à la ferme, le soir, les 80 kg de café minimum afin de pouvoir prétendre à son salaire ! A la finca El MilAgro, il n’y a pas d’employés et d’horaires fixes. La famille fournit un travail important, complémenté par l’aide des volontaires, mais se refuse d’avoir une exploitation surdimensionnée. Il préfère une ferme à taille humaine afin de ne pas avoir à embaucher des employés et avoir la sensation d’exploiter des êtres humains. « On gagne moins d’argent c’est certain, mais on respecte nos principes et convictions basés sur le respect de l’Homme et de la Nature, et c’est ça le plus important pour nous. » souligne Martha.

 



 

L’engagement de Martha au quotidien :

"Je milite et sensibilise pour une agriculture respectueuse de la Nature et des Hommes."

 

A côté de son travail à la ferme, Martha effectue un travail de sensibilisation des populations locales et des touristes colombiens ou étrangers aux effets dévastateurs du changement climatique causés principalement par l’Homme et que la Finca subit de plein fouet depuis plusieurs années. Martha explique ainsi que le déboisement régulier des forêts pour créer de plus en plus de pâturages pour l’élevage intensif de bovins et des cultures intensives de cannes à sucre, nécessitant un apport en eau important, entraîne non seulement un appauvrissement conséquent en eau que les forêts captaient, mais aussi une érosion des sols importante, ce qui provoque des coulées de boues et des éboulements dévastateurs, comme ceux de Mocoa en mars 2017 ou ceux des fermes voisines à la Finca El MilAgro en 2015.

 

En effet, les sols mis à nus ne sont plus en capacité de capter l’eau des pluies qui s’abattent sur la Vallée del Cauca pendant la saison des pluies. « Ce qui me révolte - et contre lequel je me bats - est que les restrictions d’eau s’appliquent à tous les cultivateurs de café ou autres cultures, mais pas aux éleveurs de vaches et aux cultivateurs conventionnels de cannes à sucre qui sont pourtant les 2 plus grands consommateurs d’eau ! » dénonce Martha. En effet, la Vallée del Cauca est caractérisée par l’élevage intensif de bovins et par la monoculture de la canne à sucre à grande échelle au profit des biocarburants destinés à l’exportation.

 


Petit aparté : Se pose la question de savoir si les biocarburants ou agro-carburants que l’on présume respectueux de l’environnement, le sont-ils vraiment ? Dans un rapport de l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie (Ademe) publié le 8 avril 2010, l’Ademe reconnaît que les biocarburants permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles (entre 24 à 91 % en moins), mais que si l’on tient compte de l’impact du changement d’affectation des sols, le bilan est beaucoup moins positif. L’Ademe explique en effet qu’en transformant une forêt, capable de stocker du CO2, en un champ de cultures, on renverse tout simplement le bilan environnemental des biocarburants.


 

Par ailleurs, depuis 2011, Martha a commencé un long travail de sensibilisation auprès des populations locales mais aussi des touristes colombiens et étrangers. En effet, depuis quelques années, la région de Roldanillo organise chaque début d’année un Festival Mondial de Parapente.

« C’est très bénéfique économiquement pour la région reconnaît Martha, en revanche, rien n’est géré au niveau impact environnemental. Les principaux problèmes que nous rencontrons est la gestion des déchets et des défections humaines car cet évènement rassemble des centaines de personnes sur un petit territoire. Après avoir essayé, sans succès, de convaincre la mairie de Roldanillo de mettre en place un réel plan d’action de gestion environnementale lors de ce Mondial du Parapente, nous avons décidé de prendre nous-mêmes les choses en main cette année 2017. Nous allons rédiger nous-mêmes une charte environnementale qui permette de limiter au maximum les impacts environnementaux engendrés par cet évènement, puis la soumettre à la mairie de Roldanillo ainsi qu’à d’autres partenaires concernés directement ou indirectement par ce Festival Mondial de Parapente. » m'annonce Martha. 

J’ai alors proposé spontanément mon aide à Martha pour les aider à rédiger cette charte et nous sommes arrivés à un résultat plutôt satisfaisant qui sera soumis en septembre à la mairie de Roldanillo en vue du Mondial de Parapente qui aura lieu en janvier 2018. 


Enfin, Martha déplore le peu d’aides mises en place par les autorités publiques colombiennes pour soutenir l’agriculture biologique. « Heureusement qu’il existe une bonne solidarité entre voisins pour faire face aux coups durs du changement climatique. » ajoute t’elle émue. « Il faudrait une réelle prise de conscience que nous allons droit dans le mur à continuer à cultiver intensivement ! » lâche-t-elle.

 

Il est vrai qu’en Colombie, comme en France d’ailleurs, 2 modèles d’agriculture s’opposent. D’une part, l’agriculture industrialisée et intensive qui est extrêmement émettrice de gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique, sans oublier de mentionner que 6 millions de Colombiens dont 95 % de paysans ont été déplacés, leurs terres étant, entre autres, utilisées pour des monocultures comme les palmiers à huile et la canne à sucre. De l’autre, l’agriculture familiale, qui revient petit à petit en force grâce à une prise de conscience progressive. Selon les estimations de certaines ONG, on pourrait réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre en revenant à une agriculture familiale de proximité.

 

Mais cette colère, Martha la transforme en militantisme. Elle s’indigne contre ce modèle destructeur de la Nature et des Hommes et essaye de transmettre autant qu’elle le peut un modèle d’agriculture soutenable qui permet de faire vivre à la fois l’Homme sur ses terres et la Nature. Martha conclue : « Mon rêve serait que la Finca El MilAgro devienne un exemple de lieu où il est possible que l’Homme et la Nature vivent en harmonie et qu’il puisse ainsi inspirer d’autres hommes et femmes à prendre soin de la Vie. »



 

Faire du volontariat à la Finca El MilAgro ?

 

 

 

Dès votre arrivée, vous vous sentez comme à la maison ! Martha et sa famille vous accueillent les bras grands ouverts et vous invitent chaleureusement à participer à leur vie paysanne quotidienne.

 

 

S’il ne faut pas vous attendre à un confort 5 étoiles, préparez-vous à vivre une expérience très enrichissante ! Vous pourrez apprendre de la culture du café bien entendu, mais aussi des plantes médicinales que Nelsy maîtrise parfaitement, de l’agro-écologie, de la permaculture, ainsi que de la vie dans une ferme colombienne, de sa cuisine traditionnelle et de la culture de ce pays aux milles couleurs.

 

 

Plongés dans un environnement naturel exceptionnel où les chants des cigales, des grillons et des oiseaux viennent rythmer vos activités journalières, où les vols des papillons et des colibris vous surprennent de leurs beautés remarquables, et où les arbres et plantes exotiques embaument votre quotidien, vous savourez chaque instant, sans oublier une chaleur humaine incroyable caractérisée par la joie de vivre des Colombiens et des volontaires ! 


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