C'est à Felipe Carrillo Puerto (Mexique, État du Quintana Roo) que nous avons fait la connaissance d’Yvonne et Diego, deux professeurs en biochimie qui ont plus d’un tour dans leurs sacs pour rendre le monde qui les entoure un peu plus magique.
Ingénieurs en biochimie de formation, c'est l’alimentation leur domaine de prédilection. Depuis 40 ans que l’industrie du tourisme s’est installée au Quintana Roo, cet État du Mexique est envahi de produits alimentaires industriels en tout genre. Des chips aux multiples saveurs artificielles aux en-cas hyper sucrés, en passant par des sodas vendus dans des bouteilles de 2 à 4 litres, et le tout vendu dans tous les coins de rues, c'est-à-dire jusque dans les pharmacies, Yvonne et Diego, ne manquent pas de matières pour leurs études menées en laboratoire ! Ce qu’ils cherchent avant tout, c'est démontrer quelles sont les valeurs nutritionnelles de la nourriture vendue dans l’État du Quintana Roo. Ainsi, sous leurs microscopes, ils passent au crible non seulement la nourriture industrielle, mais aussi la nourriture issue de l’agriculture locale et internationale afin de produire des études sur leurs qualités nutritives et leurs effets sur la santé. A cet égard, ils notent que la qualité de la nourriture est largement en baisse depuis ces 50 dernières années et notamment depuis 40 ans où l’industrie du tourisme s’est installée. En effet, la nourriture industrielle est bien trop riche en sel, sucre, et graisse, ce qui engendre notamment de plus en plus d’obésité et de diabète. "Ce qui est affligeant dans tout ça, souligne Diego, est que la plupart des gens achètent ces produits industriels car ceux-là collent avec l’image de modernité qu’ils renvoient et qui dit "modernité" dit "santé" dans la tête du consommateur ici" ironise-t-il. En outre, ajoute Yvonne, les publicités encouragent la vente de ces produits industriels sans mentionner aucun de leur danger engendré par une consommation régulière, sans parler des étiquettes qui sont bien loin de présenter un affichage exhaustif sur l’origine des produits et leur apport nutritionnel, quand elles ne sont tout simplement pas présentes sur les produits. Alors que les citoyens européens ont commencé depuis plusieurs années a changé leur vision sur les produits industriels, nous sommes seulement dans la phase où les consommateurs découvrent tous ces produits depuis seulement 40 ans et n’ont aucune prise de hauteur souligne Yvonne. Par ailleurs, ce sont des produits qui répondent au modèle économique mexicain actuel où la plupart des gens travaillent entre 10 et 12h par jour, 6 jours sur 7, donc ils n’ont pas beaucoup de temps ou l'envie pour préparer eux-mêmes leurs repas à partir de produits naturels bruts explique Yvonne. Dès lors, la facilité d’acheter ces produits dans les distributeurs ou magasins présents à tous les coins de rues est grande, d’autant que ces produits fortement saturés en sucre, sel et graisse, apportent une sensation de satiété et de plaisir rapide. Certains deviennent tout simplement dépendants de ces produits industriels conclue Yvonne.
Cela ne fait que quatre ans qu’ils ont monté leur labo et “leur capacité de production de résultats n’est encore que minime” précise Diego. Les articles scientifiques publiant leurs résultats traitent, entre autres, jusqu’à présent :
- De la qualité des produits agricoles de la réserve naturelle de l’État du Quintana Roo ;
- De la qualité du maïs, produit en abondance dans cette région du Mexique, et notamment des analyses comparatives entre le maïs génétiquement modifiés et celui qui n’est pas modifié génétiquement ;
- De la qualité de l’eau dans les rivières souterraines, étant donné que les poubelles des villes et villages sont soit enterrées dans la jungle, soit jetées à l’air libre, puisque aucun système de traitement des déchets n’a été mis en place dans cet État malgré les profits que rapportent l’industrie du tourisme depuis 40 ans ;
- De cultiver une espèce d’orchidée en voie de disparition en laboratoire avec comme objectif de la réintroduire dans la jungle ;
- De cultiver des coraux en laboratoire pour les réimplanter sur le récif corallien situé au large du Mexique, le long de la Riviera Maya ;
- Ou encore de comment enlever le piquant du chili havanero car ce dernier possède des propriétés nutritionnelles très intéressantes pour la santé, mais le piquant empêche beaucoup de personnes d’en manger.
Ces deux ingénieurs sont aussi Professeurs à l’Université de Felipe Carillo Puerto, mais ils ne conçoivent pas un seul de leurs cours sans interactivité entre les étudiants et les professeurs. Comme ils aiment à le souligner, ils pratiquent davantage un enseignement horizontal que vertical ou encore un enseignement actif plutôt que passif. “Il est nécessaire que les étudiants donnent du sens à ce qu’ils étudient” exprime Yvonne. Ainsi, ils travaillent en collaboration avec les étudiants sur des sujets qui les concernent directement. A titre d’exemple, les étudiants ont désiré étudier la composition chimique du « Pozol », boisson traditionnelle réalisée à base de pâte de maïs dans la région, après que le Ministère de la Santé de l’État du Quintana Roo ait annoncé une recommandation sanitaire d’éviter la consommation du Pozol car selon le Ministère « cette boisson contenait des bactéries qui tuaient des enfants » rappelle Diego. Comme c’est une boisson qu’ils boivent quasiment tous les jours, ils ont été très actifs dans cette étude qui a mené à des résultats bien plus approfondis que ceux produits par le Ministère de la Santé explique Yvonne. Les étudiants ont alors démontré que cette boisson contient beaucoup de nutriments, de protéines, d’antioxydants et de bonnes bactéries comme les lactobacilles (bactéries bénéfiques au transit intestinal). Selon leur étude, c’est davantage les conditions d’hygiène de fabrication du Pozol qui seraient à remettre en cause concernant la santé plutôt que la composition chimique de cette boisson. Yvonne explique qu’un étudiant a désiré faire sa thèse sur ce sujet et il a démontré que lors de la fermentation de la pâte à base de farine de maïs dans les feuilles de bananiers, cette boisson s’acidifie, ce qui fait qu’il ne reste que très peu de mauvaises bactéries à la fin de la fermentation, quand la boisson est consommable et qu’ainsi les recommandations du Ministère de la Santé ont crée un amalgame entre les conditions d’hygiène de fabrication du Pozol et l’intérêt nutritionnel même du Pozol.
Pour impliquer encore plus leurs étudiants dans leurs travaux, Diego et Yvonne ont eu l’idée de créer une association directement liée au laboratoire de l’Université. Ainsi, à travers l’association du Centre d’études biologiques, les étudiants sont invités à produire des études qui sont demandées par des personnes privées qui rémunèrent leurs études. Cependant, l’argent versé au Centre pour financer ces études, est directement réintroduit pour faire fonctionner le laboratoire de l’Université, ce qui permet à de nombreux étudiants de pouvoir disposer de matériels performants.
Par ailleurs, attachés au respect de la culture maya fortement présente dans cette région du Mexique, cette association permet aussi à Diego et Yvonne de donner des cours en langue Maya par l’intermédiaire d’étudiants parlant espagnol et Maya. Diego et Yvonne, ainsi que les étudiants concernés donnent ces cours le samedi, seul jour où les jeunes maya peuvent se rendre à l’Université s’ils travaillent à temps complet dans l’agriculture avec leurs familles le restant de la semaine, ainsi que pendant les vacances scolaires afin d’éviter l’èrement des jeunes qui se retrouvent souvent désœuvrer pendant ces périodes de congé et malheureusement emprunts à l’alcoolisme.
Enfin, Diego et Yvonne ont voulu élargir leur enseignement au-delà de la sphère universitaire. Ainsi, grâce à cette association, ils donnent l’occasion à leurs propres étudiants de donner des cours pour des élèves âgés entre 10 et 20 ans, afin encore une fois de rendre leurs étudiants d'avantages acteurs que spectateurs, mais aussi de faciliter une prise de conscience plus large de l’impact de l’alimentation tant sur la santé des populations que sur leur environnement. D’autant que les élèves étant mineurs se rendent au Centre accompagnés de leurs parents, ce qui accentue davantage cette prise de conscience sanitaire et environnementale jusque dans le cercle familial. “Et cela marche plutôt bien contre toutes attentes” remarquent-ils car une réelle réflexion s’invite autour des tables.
Tout autre activité, mais avec tout autant de sens, Diego et Yvonne souhaitent créer Kíiwik. Ce n'est ni un fruit exotique, ni un oiseau du Mexique, mais tout simplement une autre association pour le maintien d’une agriculture paysanne. Kiiwik en Maya signifie « marché, échange, place », l’idée est donc de promouvoir les produits agricoles locaux afin notamment d’aider les paysans locaux de plus en plus en proie à la pauvreté car soumis à un marché où les intermédiaires commerciaux sont de plus en plus nombreux, mais aussi pour proposer des produits agricoles traditionnels, culturels et éducatifs de qualité et ainsi maintenir le lien social entre les habitants. Ainsi, les agriculteurs pourront vendre directement leurs produits aux consom-acteurs qui pourront autant se fournir en alimentation qu’en vêtements et autres produits artisanaux ou/et traditionnels. “Cette démarche a aussi pour ambition de créer un lieu de dialogues et d’échanges entre les habitants sur des thèmes aussi variés que l’alimentation, l’écologie, l’environnement, la culture, l’économie, l’éducation » confient-ils.
Enfin, Diego et Yvonne sont deux “empresarios del cooperativismo”, c'est-à-dire deux entrepreneurs du travail collaboratif. En effet, ils tiennent un café, nommé Tierra Café et qui par son système de fonctionnement et son ambition, mérite le détour. Si vous voulez démarrer de bon pied votre journée en savourant un excellent café de la région, ou casser une croûte en dégustant des salades de légumes ou de fruits frais, des sandwiches au pain intégral ou encore des “tortas francesas” (comprenez quiches lorraines...Et oui !), le tout cuisinés sur place, alors vous êtes servis ! Mais si vous préférez discuter science, politique, économie, philosophie, sport autour d’un frappuchino maison, alors vous êtes à la bonne table ! Tierra Café, c’est le premier café participatif de Felipe Carrillo Puerto où l’organisation est encore une fois davantage horizontale que verticale puisque ce sont des étudiants qui gèrent le café au quotidien, en tant que jobs étudiants puisque les recettes leurs profitent directement, et qui proposent tous les débats et conférences. Un véritable lieu d’échanges et de réflexion pour tous les habitants de Felipe !
Avec toutes ces activités menées de front, Diego et Yvonne restent modestes car ils estiment que c’est leurs petits grains de sable apportés au monde pour qu’il soit plus respectueux de la nature et vivable durablement pour tous. Ils pensent qu’il y aurait encore beaucoup à faire à Felipe comme par exemple, ouvrir un cinéma dans la ville pour donner davantage l’accès à la culture, d’autant que les habitants de Felipe ne disposent que d’une chaîne de télévision libre (non payante) où l’information est bien souvent biaisée puisque le canal est acheté par le parti politique en place au gouvernement. Ils ont aussi l’idée de mettre en place un jardin partagé afin d’apprendre ou de réapprendre aux jeunes et aux moins jeunes qu’il est possible de produire sa propre nourriture.
En bref, pour Diego et Yvonne, leurs petits grains de sable consistent à davantage éduquer, fournir les vraies informations à partir d’études scientifiques approfondies, cultiver les terres et les esprits, et finalement partager et conscientiser pour donner les moyens à chacun d’avoir sa propre réflexion sur le monde et de trouver quel(s) chemin(s) emprunter pour demain.
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