Rencontre des élèves d'un collège à Bogota

C’est vendredi 31 mars que j’ai pu rencontrer les élèves du collège El Uval, situé à Usme, en périphérie de Bogotá.  Grâce à Andres Torres Rey, professeur d’histoire, de géographie et de sciences politiques, j’ai pu exposer mon projet à ses élèves Colombiens.

 

J’ai fait la connaissance d’Andres via le réseau « Warm Showers » ou « Duchas Calientes », un réseau d’hébergements international pour cyclo-voyageurs. Andres connait bien la Colombie, qu’il a beaucoup parcourue en vélo, mais aussi l’Amérique latine qu’il a traversée à 23 ans, en 2010, du Nord au Sud depuis Bogotá, sa ville natale.

 

Alors qu’il m’avait invitée à partager un « almuerzo » - comprenez déjeuner -  en plein centre de Bogotá il y a 8 jours, dans son petit restau préféré de poissons, je lui ai demandé s’il était d’accord pour que je rencontre ses élèves afin de leur exposer mon projet de voyage à vélo à la rencontre des personnes qui pensent, rêvent et construisent le monde de demain dans le but d’échanger avec eux sur leurs rêves et leurs projets futurs. Andres a immédiatement accepté et a organisé une rencontre d’une journée.

 

C’est ainsi que nous sommes partis de bon matin, à bicyclette, sur les chemins de la capitale, pour nous rendre sur son lieu de travail. Andres m’avait prévenu qu’il s’agissait d’un collège de campagne qui se situait loin du centre de la capitale, et ce n’était pas peu dire. Nous avons traversé complètement Bogotá du Nord au Sud sur 40 kilomètres, vélo chargé pour ma part bien entendu, puisqu’il s’agissait de montrer concrètement aux élèves en quoi consiste le voyage à vélo.

 

Le centre ville de Bogotá, je connais depuis 3 semaines. Les grandes tours, la modernité, les cadres supérieurs habillés en costars-cravates se mêlant joyeusement aux commerçants ambulants et aux autres habitants d’un niveau de vie plus modeste, le tout dans une circulation infernale où voitures, taxis, bus et vélos tentent tous inlassablement de se frayer un passage pour arriver le plus rapidement possible à destination.

 

En revanche, les 20 derniers kilomètres m’ont fait découvrir un tout autre univers de Bogotá. Loin des quartiers d’affaires, des odeurs nauséabondes fortes ont commencé à me mettre la puce à l’oreille. J’aperçois des chiens errants cherchant de la nourriture dans les poubelles éventrées sur les trottoirs. La circulation est toujours aussi folle dans ces quartiers de la capitale. Les bus crachent de gros nuages noirs à chaque accélération, les taxis usent et abusent de leurs klaxons pour se frayer un chemin et nous faisons de même avec Andres, sifflet en bouche, pour nous faufiler comme nous pouvons et suivre ce flot de circulation infernale.

 

Quant aux habitants de cette partie Sud de la capitale, ils ont changé de visages. Ils sont clairement marqués par une vie qui semble être très dure au quotidien. Les sourires se font rares. Il y a aussi les « habitantes de la calle » comme ils les appellent ici. Autrement dit, les sans domiciles fixes, qui errent dans ces rues, en titubant sous l’effet de drogues, un gros sac poubelle armé sur leurs épaules contenant tout ce qu’ils possèdent, à la recherche de nourriture dans ces mêmes poubelles éventrées sur les trottoirs. C’est triste. Je suis triste et révoltée à la fois. Cela me fait profondément mal au ventre de voir ce spectacle. Je ne peux pas sortir l’appareil photos et je ne veux pas le sortir. Je voudrais pouvoir montrer cette misère pour qu’elle indigne, mais comment pourrais-je avoir le culot de prendre en photos ces gens dans cette condition humaine aussi médiocre ? Ce serait tout simplement leur manquer de respect.

 

Plus on avance dans les quartiers Sud, plus une odeur pestilentielle plombe l’atmosphère ambiante. Les routes asphaltées sont en piteux état et côtoient des chemins de terre jalonnés d’énormes trous qu’il nous faut éviter pour échapper à une gamelle monumentale en vélo. Les bus et les camions nous doublent allègrement, passent parfois à 50 centimètres de nous, en nous laissant un gros nuage de poussières de terre et de pétrole mal brûlé qui nous assèche la gorge et nous pique les yeux. Mais pas question de fermer les yeux ! On reste les yeux bien ouverts, concentrés sur la route, les deux mains bien cramponnées au guidon.

 

Traverser Bogotá en vélo, c’est vraiment prendre la mesure de la capitale colombienne : un mélange incroyable de richesse et de pauvreté extrêmes. Au centre, les grandes tours du quartier des affaires, les beaux bâtiments coloniaux, le Palais présidentiel et les différents ministères, les ambassades étrangères, la Bourse, les vitrines des magasins de grandes marques internationales…et en périphérie Sud, ces quartiers ultra pauvres que nous traversons rapidement. Andres me somme de ne pas s’attarder.

 

C’est alors que j’aperçois au loin, flanqué en contrebas des hauts plateaux de la cordillère orientale, un quartier qui me paraît encore plus pauvre que ceux que nous sommes en train de traverser. « C’est le quartier Bolivar ! » me lance Andres en me le montrant du doigt. « C’est ce que vous avez comme seule image de Bogotá en France ! ». Ciudad Bolivar, c’est 800 000 habitants, soit 1/7 de la capitale. Cette ville dans la ville fait partie de Bogotá, mais ce n’est qu’une partie et non le tout. Bogotá ne peut pas être réduite à ce seul quartier ravagé par la drogue, la violence et le désœuvrement m’explique Andres. C’est une enclave dans la ville où les classes moyennes et aisées ne mettent jamais les pieds, ni même les décideurs politiques. Peut-être est-ce justement là le problème… ? Bogotá est un curieux mélange et une ville dotée d’une énergie incroyable méconnue dans nos capitales européennes, mais ce n’est pas uniquement ses quartiers pauvres.

 

Nous nous avançons plus profondément dans cette partie Sud de la ville pour arriver à la ville de Usme (250 000 habitants), qui constitue le 5e district de Bogotá, parmi les 20 qui la composent. C’est un paysage campagnard qui nous entoure désormais : plus aucune route asphaltée, nous arpentons de vrais chemins de montagne. Les vaches broutent dans les prés aussi verts qu’en Franche-Comté. Des cultures de pommes de terre, choux, carottes, poireaux, salades poussent paisiblement à 3000 mètres d’altitude. Des paysans travaillent dans les champs, loin de l’agitation trépidante que nous venons de quitter. Un autre monde s’ouvre, encore une des diversités de Bogotá. La campagne dans la ville. Le calme dans la tempête. Nous voici en train de siffloter tranquillement entre champs de cultures et de vaches. La vue sur la Savane de Bogotá, située dans la partie sud de l’Altiplano, constituant une ramification de la cordillère des Andes est tout simplement splendide ! Je souris. Je me dis qu’une fois de plus, cette 3ème plus haute capitale du monde n’a pas fini de me surprendre.

 

Après une descente raide, c’est une montée ardue qui nous attend. Je commence à fatiguer. Les quelques tranches de pain et le verre de lait cacaoté qu’Andres m’a offert ce matin sont dépensés depuis un moment déjà. Mais Andres est devant et je ne peux pas faire de pause car nous ne sommes pas en avance. J’essaye de le suivre comme je peux, mais la montée est plus que raide. Les sacoches se font sentir. Le vélo glisse à plusieurs reprises dans la terre mouillée par les pluies diluviennes de la veille. Mon souffle se fait court. Je sens que nous sommes désormais à 3200 mètres d’altitude. Je descends du vélo et je marche à côté. Je ne vois plus Andres, il est parti devant. Je finirai toute seule cette montée à pied pour enfin arriver au « Colegio Rural El Uval » de la ville de Usme.

 

Je suis accueillie en grandes pompes ! Je ne m’attendais pas à un tel accueil aussi chaleureux. Des dizaines d’adolescents viennent s’agglutiner autour de moi et de ma bicyclette tout en m’applaudissant et en me posant déjà 1001 questions. « D’où viens-tu ? » « Comment t’appelles-tu ? » « Depuis quand es-tu en Colombie ? » « Quand pars-tu de Bogotá ? » « Où vas-tu ? » « Combien ça coûte, ça ? » demande un gamin de 13 ans en me montrant le compteur du vélo. Je tente de me frayer un passage entre eux. Andres m’aide en essayant de discipliner ses élèves. J’arrive à poser mon vélo et son chargement contre le mur d’une des classes du collège et j’entre en même temps que les élèves d’Andres dans leur salle de cours, tout autant excitée qu’eux à l’idée de faire leur connaissance. J’hésite un moment à laisser mon vélo seul à l’extérieur sans surveillance avec toutes mes sacoches, mais Andres vient pour me rassurer : « Ne t’inquiète pas, il ne risque rien. Ces élèves sont issus d’un milieu pauvre, mais ils sont éduqués, ils ne te voleront rien, je te le garantis. » Je lui fais confiance et il s'avèrera qu'il aura eu raison.

 

Puis, le silence s’installe. Je me présente et je leur parle du projet. Ils sont incroyablement attentifs. Je sens en eux une certaine admiration, qui je dois l’avouer, me gène un peu. Sur une carte du monde accrochée sur le tableau noir de la classe, je leur montre le chemin parcouru en vélo et celui effectué en voilier. Après avoir regardé quelques passages vidéos et photos du voyage parcouru jusqu'ici, je laisse la place aux questions. « Comment vas-tu faire pour dormir ? »  « Comment c’est en France ? » « C’est vrai que tout le monde est libre là-bas depuis la Révolution française ? » « Chante-nous une chanson française ! » « Non, chante-nous l’hymne national français, comme à la Révolution ! » Et me voilà partie à entonner les paroles écrites par Rouget de Lisle devant une trentaine de jeunes collégiens. J’aurais préféré chanter une chanson de Brel, mais c’est l’hymne national qu’ils voulaient ! Et les voilà qui m’applaudissent à grand renfort de  « Bravo Bravo Jessica » ! Ils sont si chaleureux, si enthousiastes, ils me donnent un élan d’amour et de partage humain incroyable.

 

Au moment de la pause, je me retrouve seule quelques instants. La salle de classe est sobre. 4 murs, un toit, un tableau noir, quelques craies et 3 cartes du monde accrochées pour donner un peu de couleurs aux murs gris béton. Bien entendu, aucune connexion Internet dans ce collège et un seul ordinateur, celui d’Andres, pour l’ensemble de la classe. Il y a tout de même un téléviseur qui m'a permis de projeter les photos et vidéos, mais les moyens mis à disposition des élèves et des professeurs sont limités comparés à ceux que nous connaissons en France.

 

Je sors rejoindre Andres qui mange quelques « empanadas » (chaussons fourrés soit à la viande de poulet ou de porc, ou aux légumes et au riz, ou encore au fromage) sous une petite guitoune située au milieu de la cour. A côté, se trouve le terrain de foot du collège. Le football est en Colombie une réelle institution. C’est le sport national ! Au point que lorsque j’ai été faire un tour dans les centres commerciaux de Bogotá, des dizaines de personnes sont agglutinées devant les écrans de télévision pour partager ensemble un match, chacun y allant de son commentaire à chaque moment décisif du jeu. Autant vous dire que cela crée une sacrée animation quand on fait ses courses !

 

Pour terminer de déguster nos « empanadas », je m’assois avec Andres sur les sièges du stade de foot du collège qui sont ni plus ni moins que des pneux usés de voiture recyclés à cet usage. Outre le côté esthétique à revoir, je trouve ça plutôt confortable et je trouve l’idée de ce recyclage plutôt intéressante. Pendant que filles et garçons confondus jouent allègrement au foot, d’autres viennent s’asseoir à côté de moi pour poursuivre l’échange. Certains touchent tout en délicatesse mes cheveux blonds tandis que d’autres me dévisagent en me demandant ce que l’on mange en France, comment on s’habille, s’il y a des saisons différentes, etc. On échange ainsi longuement sur nos cultures respectives, nos langues, nos habitudes alimentaires et vestimentaires, nos façons de voir la vie, etc. J’apprécie énormément leur enthousiasme et leur curiosité.

 

Après cette pause déjeuner, on retourne en classe, et c’est à mon tour de leur poser des questions ou plutôt une question qui me semble existentielle : Quels sont vos rêves ? Qu’est-ce qui vous fait vibrer dans la vie ? Qu’est-ce que vous avez envie d’accomplir et de devenir sur cette Terre ? La question les ravie et ils commencent alors à me crier leurs rêves à la volée. Je leur demande à tous de prendre une feuille de papier et d’écrire leurs rêves. C’est alors un grand instant de bonheur pour moi que d’observer tous ces jeunes s’appliquer à écrire leurs rêves dans un silence religieux. Je profite pleinement de cet instant.

 

Soudain, l’une des élèves m’interpelle et me demande : « Mais ce voyage que tu réalises, c’est un rêve pour toi ? » « Oui, tout à fait. » je lui réponds. Elle poursuit : « Mais, ce n’est pas difficile de quitter son pays, sa maison, sa famille, ses amis ? » J'ajoute : « Mais je n’ai jamais dit que réaliser un rêve était facile, au contraire, plus il est grand est plus il peut être difficile à réaliser, mais si tu cherches à réaliser tes rêves alors tu te réalises toi-même et tu donnes le meilleur de toi-même, et n’est-ce pas ça le plus important dans la vie que de se réaliser et à donner le meilleur de soi-même ? »

 

Nous sommes tous sortis dehors pour prendre une photo de l’ensemble de la classe avec les rêves de chacun des élèves. A la fin de journée, ils ont tous tenus à me remettre leurs rêves signés de leurs noms et prénoms. J’étais profondément touchée. L’échange aura été riche.

 

Merci aux élèves d'Andres, merci au collège El Uval de m'avoir reçue et merci à Andres d'avoir organisé cette rencontre  ! ;-)

 

Écrire commentaire

Commentaires: 5
  • #1

    André MARIN (dimanche, 09 avril 2017 20:17)

    Bonsoir Jessica ! Je suis depuis Dounoux ( Vosges ) ton périple sud américain . C'est chouette de pouvoir rencontrer des élèves de collège et leur montrer que dans notre monde qui se soucie si peu de son propre avenir ( celui de la Terre ,) il y a des gens qui optent pour une protection de ce paradis qui nous est prêté en se donnant à fond ! Merci à toi ! Bises !

  • #2

    Fred (dimanche, 09 avril 2017 20:33)

    Super ce récit, tu as vécu un beau moment.

    Bises de l'ardèche !

  • #3

    Jessica (lundi, 10 avril 2017 01:10)

    Bonsoir André, Salut Fredo !

    En effet, c'était un super moment. Tous ces gamins ont plein de rêves et d'idées pour le monde de demain ! Ça fait plaisir à voir ! ;-)

  • #4

    François Zimmer (vendredi, 21 avril 2017 19:16)

    Bonsoir Jessica. Un salut du journaliste de l'Est Républicain au milieu (?) de votre périple. Bonne suite !

  • #5

    Jessica (dimanche, 23 avril 2017 18:25)

    Bonjour François,

    Merci ! ;-)